Le Centre Auto de l'ESAT
Lors du Salon Osez Nos Compétences à Montpellier du 14 avril 2016, au détour d’un stand nous avons rencontré Yves Barbier, Directeur adjoint de l’Esat Epis qui présentait les différentes activités de sa structure.
Monsieur Barbier, pouvez-vous nous présenter votre établissement ?
C’est un complexe, le complexe Epis qui dépend de l’ADSEA 06, une association employant environ 700 salariés. L’ADSEA comprend deux structures, une concernant l’habitat et l’autre le travail protégé et adapté à travers un Esat dont je suis le Directeur adjoint. Nous recevons un public mixte avec de moins en moins de déficiences intellectuelles et de plus en plus de personnes souffrant de pathologie mentale. L’Esat a un agrément pour 135 personnes reconnues en situation de handicap mais en réalité, avec les ouvriers à temps partiel, ce sont autour de 150 personnes au total qui sont accueillies.
Votre établissement propose une quinzaine d’activités que l’on retrouve dans beaucoup d’établissements du secteur. Mais parallèlement, vous avez mis en place une activité innovante qui se rapproche d’un garage, est-ce exact ?
Pas exactement. En effet, sous le terme garage, repose un certain nombre de « compétences moteur ». Ce que nous proposons relève plutôt du petit service : tout ce qui concerne les pneumatiques, le système de freinage, la vidange et le nettoyage intérieur et extérieur du véhicule. Ces activités se rapprochent plus de celles d'un centre auto avec une activité en moins, l’installation des postes radios.
Comment cette idée a-t-elle émergé ?
Nous avions un atelier mécanique qui employait une trentaine de travailleurs avec un certain savoir-faire. Nous avons perdu des marchés auprès de nos donneurs d’ordre et avons dû fermer cette activité. Les questions "comment et par quoi la remplacer ?" ce sont bien évidemment posées.
Nous avons regardé un peu autour de nous, pris des renseignements auprès d’autres établissements, et avons décidé d’innover sur un marché captif nous permettant de ne pas être en concurrence avec les autres Esat du département. L'idée émergente a été celle d’un service automobile proche des activités d’un centre auto.
L’idée actée, combien de temps pour la mettre en place ?
Presque trois années. Nous avions un problème à résoudre, trouver un moniteur titulaire d’un CAP de mécanique auto puis attendre le départ d’un moniteur d’atelier pour le remplacer par le moniteur mécanique. Nous avons aussi dû convaincre les Instances Représentatives du Personnel du bien fondé de cette démarche, en permettant à des travailleurs handicapés d’intervenir sur les véhicules sans faire courir de risque à leurs utilisateurs.
La création de cet atelier et de l’outillage adéquat ont-ils demandé des investissements importants ?
Tout est relatif. Où place-t-on l’importance d’un investissement lorsque vous payez 25 000 à 30 000 € un broyeur pour les espaces verts. L’aménagement et le matériel se sont élevés à environ 40 000 €. Créer un atelier pour ce montant ne me semble donc pas un investissement important !
Comment s’est effectué le choix de vos ouvriers et quelle formation a-t-elle été nécessaire ?
Nous avons présenté le projet aux 150 ouvriers de l’établissement, lancé un appel à volontariat puis chaque moniteur d’atelier a relevé le nom des désirants. Ensuite nous nous sommes réunis avec les moniteurs pour effectuer notre choix en fonction des compétences de chacun des inscrits. Nous les avons scindés en deux groupes : celui dédié à la partie mécanique demandant une dextérité et une technicité spécifique et celui intégrant le nettoyage du véhicule où la technicité est moindre. Cela nous a aussi permis de choisir deux types de travailleurs aux profils différents.
Pour la partie formation, le premier groupe a été formé en intra par le moniteur d’atelier que nous avions recruté, le second a été envoyé dans un centre de formation reconnu, PROTECH, spécialiste des véhicules de luxe, pour y être formé et certifié. Ils ont obtenu une certification qui leur permet par ailleurs de travailler dans n’importe quelle société de nettoyage du milieu ordinaire classique.
Quels furent vos premiers clients ?
Notre personnel et celui de l’association.
Pour la suite, ne fut-ce pas trop compliqué de trouver des personnes acceptant de porter leur voiture pour changer les roues ou les plaquettes de frein dans un centre n’employant que des personnes en situation de handicap ?
Pour l'activité "nettoyage de véhicules", lorsque les premiers clients (personnels et directeurs d’autres établissements) ont vu le résultat plutôt bluffant du travail fourni, ils l’ont fait de suite savoir. Quant à l’atelier mécanique, le temps a transmis la confiance.
Nous avons commencé par deux ou trois véhicules, les personnes clientes se sont aperçu que le travail rimait avec qualité, ils en ont témoigné. Le rôle du moniteur fut également sécurisant de par son professionnalisme et ses compétences. Nous avons de plus mis en place des systèmes de contrôle doublés, effectués par l’ouvrier responsable et par le moniteur d’atelier.
Pour que les gens viennent, je présume que votre Centre auto est visible, vous êtes donc bien placé ?
Non pas vraiment, même pas du tout !... mais nous en étions conscient dès le départ. Notre atout, le bouche à oreille qui fonctionne très bien et notre réseau.
La communication a aussi un rôle important. Nous avons eu des articles dans la presse locale, dans la presse régionale avec Nice-Matin, nous avons aussi déposé des plaquettes de présentation dans des Mairies, dans plusieurs commerces. Tous ces paramètres réunis favorisent notre visibilité.
Les travailleurs de l’atelier ont-ils des tenues spécifiques ?
Oui, vous avez pu voir sur notre stand que nous commercialisons des équipements dont certains sont fabriqués au sein de notre Esat. Ainsi tous les ouvriers de l’atelier ont des tenues professionnelles, chaussures de sécurité, pantalons, tee-shirts, gants, lunettes, vestes avec notre logo brodé dessus, tenues par ailleurs que nous nettoyons en interne. Nous avons mis en place une petite unité de lavage à cet effet.
La mise en place de cette activité ne démontre-t-elle pas que le secteur du travail protégé et adapté peut innover et ouvrir de nouveaux métiers ?
J’en suis totalement convaincu. Je pense que tout est accessible à un Esat à partir de l’instant où se trouve la bonne personne au bon endroit. Si l’encadrement est performant, bon pédagogue, qu’il a la capacité d’analyser son équipe, de transmettre ses savoirs, il me semble que tout est possible. Il suffit de savoir segmenter une tâche. Parmi notre public nous avons des travailleurs mono tache. Si une tâche se décompose en trois actions, vous pouvez mettre trois ouvriers, si elle se décompose en cinq vous y affectez cinq travailleurs.
A travers cette expérience sur les chemins des possibles, quel message pourriez-vous transmettre à vos collègues ?
Nous sommes prêts à aider n’importe quel établissement désirant créer ce type d’activité et leur transmettre notre savoir-faire. Cette activité se situe non seulement sur un marché porteur vu le nombre de voitures en circulation mais est aussi inclusive pour nos travailleurs de par les compétences qu’ils y acquièrent.
D’ailleurs nous trouverions l’idée de la création d’une filière pertinente si d’autres établissements suivent le même chemin. Cela permettrait de créer par exemple un label qualitatif et de mutualiser nos commandes pour en faire baisser les coûts. Nous pourrions également imaginer un Esat comme base logistique de tous les établissements concernés.
En attendant la réalisation de tous ces projets, nous avons rencontré sur ce salon l’Esat les Olivettes qui propose également cette activité et avec lequel nous allons échanger et nous enrichir de nos expériences partagées.
Entretien réalisé par Francis Piegza