Interview avec Didier Rambeaux, directeur du Pôle industriel de l’Adapei de la Meuse
L’Association Départementale des Amis et Parents d’Enfants Inadaptés de la Meuse gère 17 établissements et prend en charge 700 enfants, adolescents et adultes essentiellement déficients intellectuels. Didier Rambeaux, directeur du pôle industriel gère les Esat de Vassincourt, Verdun et Bar-le-Duc.
Quelle est la politique industrielle de l’Adapei de la Meuse ?
« Il y a six ans, lorsque je suis arrivé à mon poste, les Esat étaient en grande difficulté économique et financière puisque leur fonctionnement était basé sur de la sous-traitance industrielle. Nous avons dû faire face à trois difficultés : désindustrialisation, délocalisation et apparition d’une concurrence nouvelle comme celle du milieu carcéral. Notre nouvelle politique a donc été de développer nos propres productions et prestations de service pour nous positionner sur le marché. Aujourd’hui grâce à nos atouts de qualité, de proximité et de réactivité, nous sommes devenus un acteur incontournable dans la Meuse. Les travailleurs, grâce à leurs compétences reconnues, sont devenus des agents économiques. L’intégration industrielle et économique mène à l’intégration sociale et nous permet de remplir nos missions d’autonomie et d’intégration dans la cité ».
Vous avez une histoire commune avec Essilor qui illustre ces choix politiques…
« En effet, nous travaillons depuis 20 ans avec Essilor à Ligny-en-Barrois. Nous fabriquons de la connectique à destination d’une machine utilisée par les opticiens. Pourtant, à l’automne 2009, Essilor nous a annoncé qu’elle allait devenir obsolète et donc que nos relations allaient doucement s’épuiser. Pour nous, cela annonçait la perte d’un client important mais également d’un réel savoir-faire. Nous avons donc choisi d’anticiper et de négocier avec Essilor. Les 30 kilomètres qui séparent Vassincourt de Ligny se sont révélés pénalisant économiquement. L’idée d’intégrer le site d’Essilor pour continuer à fabriquer la connectique et réaliser d’autres tâches selon les besoins de l’usine a donc germé. Il a ensuite fallu convaincre, prouver la faisabilité du projet et expliquer le handicap. Mais la plus grosse difficulté a été d’ordre technique, pour que les travailleurs se rendent sur leur futur lieu de travail, à 30 ou 35 kilomètres. Nous les avons donc formés à prendre le train, puis à se rendre à la gare routière prendre le bus. Et finalement, après un an de pourparlers et un an de préparation, le 17 décembre 2011, dix travailleurs handicapés et deux remplaçants se sont installés dans les locaux d’Essilor ».
Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
« Aujourd’hui, nos travailleurs respectent les mêmes horaires, les mêmes règles de sécurité, revêtent la même blouse et ont le même badge que les salariés d’Essilor. De ce fait, l’intégration a été rapide, ils se sont noyés dans la foule, y compris au self où ils ne constituent pas un groupe isolé. D’ailleurs, eux-mêmes disent travailler chez Essilor, comme n’importe quel salarié, bien que ça ne soit pas le cas. Aujourd’hui, pas un seul d’entre eux ne veut faire marche arrière. C’est un magnifique exemple de ce que l’on nomme « Esat hors les murs ». Cette expérience tire nos travailleurs vers le haut et les conséquences débordent largement sur leur vie sociale et privée. Ils savent désormais prendre le train et l’utilisent pour aller faire leurs courses ou pour partir un peu plus loin en vacances. Ainsi, si notre relation avec Essilor est basée sur des principes de rentabilité, c’est avant tout un moyen pour nous de tendre vers plus d’autonomie et de citoyenneté. De son côté, Essilor bénéficie d’avantages légaux, tarifaires et moraux d’empathie envers le secteur protégé. Tout le monde y trouve son compte dans cette collaboration, nos intérêts sont largement croisés et partagés ».