Les salles blanches ou salles propres, une activité émergente ?
Une salle blanche (ou salle propre selon la norme ISO 14644-1) est un espace clos où la concentration particulaire est maîtrisée afin de minimiser l'introduction, la génération et la rétention de poussières ou d’autres agents contaminants. Les paramètres tels que la température, l'humidité et la pression relative y sont maintenus à un niveau précis, le premier objectif étant de protéger l’opérateur, le produit et l’environnement. Utilisées pour la recherche scientifique ou pour l’industrie, ces salles répondent à des normes spécifiques aux secteurs médical, cosmétique ou alimentaire.
Vingt-trois structures du secteur protégé et adapté ont fait le choix de proposer et développer des prestations en adéquation aux demandes de clients actifs dans ces domaines.
Deux directeurs de la région Rhône-Alpes ont accepté de répondre à nos questions pour transmettre leurs expériences respectives. Il s’agit de Frédéric Leblanc, directeur de l’ESAT des Ateliers de l’Agglomération Grenobloise et de Matthieu Lebleu, directeur de l’ESAT Jacques Chavent à Lyon.
Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est une salle propre ?
F.L : On parle plutôt de salle blanche pour que ce soit compréhensible pour tout à chacun. Une salle blanche est un espace de travail sécurisé, isolé, sous une atmosphère contrôlée.
M.L : L’ESAT Jacques Chavent est en salle propre. En termes de normes, il y a une différence entre les deux liée aux taux d’empoussièrement de plus ou moins 4 millions de particules par m3. En dessous de ce taux on parle alors de salle blanche.
Pour quelles raisons avez-vous pris la décision de développer cette activité ?
F.L : Ce fut l’objet d’une décision stratégique à partir d’une réflexion interne : comment se séparer d’activités « vieillissantes » en ESAT pour s’orienter vers de nouvelles activités à meilleure valeur ajoutée au sein de l’établissement. Bien évidemment la prise en compte du territoire environnant, où peu ou pas d’offres de ce type existaient, a été importante car il s’agissait également de proposer une activité non présente dans les établissements du département.
M.L : A Lyon, nous sommes entourés de sociétés opérant dans la pharmacie ou la parapharmacie. Le fait de créer des salles propres nous est donc apparu comme une éventualité intéressante couplée au fait que nos clients doivent répondre de plus en plus à des normalisations des flux. Le déménagement de notre établissement de Vénissieux à Gerland au milieu d’un bio-pôle technologique n’a fait que conforter nos choix. De plus, cette activité présente un réel intérêt pédagogique pour les ouvriers, nous y reviendrons.
Les investissements sont-ils importants ?
F.L : Oui, sur les dix dernières années, avec une montée en charge progressive, la somme atteint environ 1 million d’euros. Nous possédons aujourd’hui sept salles en service, appelées box, où travaillent une soixantaine d’ouvriers.
M.L : Les investissements peuvent être plus modérés. La réalisation d’une salle propre et d’un sas varie de 15 000 euros pour une salle de 40 m2 avec simple vitrage à 50 000 € pour un espace plus grand avec double vitrage. A cet aménagement se rajoute l’installation de matériel comme les machines de conditionnement et outils de traçabilité entre autres. Notre établissement possède quatre salles où travaillent également une soixantaine d’ouvriers.
Quelles sont les normes et les procédures que vous avez respectées ?
F.L : Les salles blanches sont soumises à une réglementation assez stricte. Nous avons essentiellement deux activités dans notre établissement : le conditionnement agro-alimentaire et le pharmaceutique. Pour le premier nommé, le minimum est d’avoir déjà une certification ISO 9001 ou une démarche qualité au niveau de l’établissement. Il faut également un dispositif HACCP, comme dans les cuisines centrales, avec relevés de température, suivis et normes d’hygiène correspondantes. Sur la partie pharmaceutique vient s’ajouter un troisième élément, la certification FDA (norme de l’agence américaine du médicament). Nous travaillons en effet pour un client qui exporte vers les USA, et cette agence vient nous auditer une fois par an pour vérifier que nous suivons à la lettre toutes les procédures du cahier des charges. Il est à noter que ces contrôles ne sont pas toujours prévus et nous faisons parfois l’objet d’audits inopinés.
M.L : Pour la salle propre, nous devons à la fois maîtriser le flux de personnes, l’entrée se faisant par un sas, et le flux des marchandises qui doit respecter le principe de marche en avant. Pour maîtriser le seuil des particules, nous utilisons par exemple des palettes ou des caisses plastiques et limitons au maximum l’utilisation du bois. Des systèmes de ventilation filtrés, adaptés à la gestion des flux de particules, auxquelles se rajoutent des procédures d’hygiène forment un tout visant à garantir la sécurité des produits finis.
L’atelier de conditionnement cosmétique applique la norme ISO 22716 afin de respecter les BPF (Bonnes Pratiques de Fabrication Cosmétique) selon le règlement européen n°1223/2009. Peut venir s’y ajouter une attestation de conformité aux référentiels Ecocert et/ou Cosmos (produits Bio). L’atelier alimentaire travaille dans les conditions HACCP. Et si sur un secteur particulier nous ne sommes pas soumis aux réglementations européennes, nous sommes dans tous les cas soumis aux procédures de nos clients et, à cet égard, nous sommes audités très régulièrement.
Quelles ont été les différentes étapes pour la mise en place de cette activité ?
F.L : Une fois la décision prise de développer cette activité, en concertation avec notre association gestionnaire l’Afipaeim, nous avons lancé une étude de marché qui nous a permis d’évaluer et de budgétiser les investissements nécessaires. Ensuite vint la mise en place proprement dite des salles puis la partie formation des encadrants et l’habilitation de nos travailleurs à intégrer ces activités.
M.L : Les étapes furent similaires en précisant qu’il convient d’associer le personnel d’encadrement très en amont lors des premières démarches et souligner que la formation des moniteurs d’atelier aux règles et normes en vigueur est primordiale. La sensibilisation des moniteurs aux procédures clients décrites dans les diverses documentations attenantes aux commandes sont tout aussi essentielles.
Pourriez-vous nous préciser le volet formation des travailleurs ?
F.L : Plus que des formations, nous parlons plus volontiers d’habilitation ou d’accréditation puisque nous sommes en bout de chaine et nous intervenons sur le conditionnement et l’expédition. Nous avons évidemment mis en place des modes opératoires avec des visuels qui permettent d’expliquer tous les process à respecter.
M.B : Effectivement, plus qu’une formation c’est l’appropriation de règles contraignantes à respecter vis à vis de l’hygiène. Il faut préciser que tout ceci n’est nullement perçu par les travailleurs comme une contrainte mais comme une évolution positive dans leur quotidien. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que les ouvriers s’approprient rapidement les notions d’hygiène et qu’elles deviennent également un acquis pour leur quotidien. Je voudrais également insister sur les profils demandés pour ces activités. En effet, il faut savoir que ces ateliers ne sont pas réservés aux plus autonomes. Nos lignes de production concernent des postes de travail qui peuvent aller de la production d’étiquettes par ordinateur en passant par la conduite de machines-outils plus ou moins automatisées jusqu’à de la mise en barquettes pour la production alimentaire. Tous les travailleurs sont donc concernés et les contraintes liées à cette activité ne sont nullement stigmatisantes mais peuvent, bien au contraire, favoriser leur structuration.
Est-ce une activité valorisante pour vos travailleurs ?
F.L : Bien sûr, le fait de travailler avec des équipements « charlottes, blouses, gants.. » avec comme référence l’hygiène leur procure de la fierté. Pour la traçabilité, leur émargement sur des feuilles de suivi y contribue également. Cet environnement de travail est effectivement valorisant pour la soixantaine de travailleurs qui y sont employés.
M.L : Ce point est évident. Non seulement ils évoluent dans un environnement qualitatif pour toutes les raisons d’hygiène et de sécurité évoquées, mais également de par la nature des produits. Pour les denrées alimentaires ce sont des produits qu’ils connaissent, qu’ils retrouvent dans les rayons de la grande distribution. Pour la partie cosmétique, nous avons des produits à forte valeur ajoutée tels ceux dédiés aux soins pour la personne, crèmes et lotions par exemple. Il y a aussi un autre effet valorisant résultant de l’intégration de toutes ces contraintes : pouvoir répondre, pour certains de nos ouvriers, à des demandes de mise à disposition au sein des entreprises de ce secteur.
Pouvez-vous nous citer quelques uns de vos principaux clients ?
F.L : L’agro-alimentaire avec Cépasco par exemple pour lequel nous sommes amenés à conditionner du safran, de la vanille, des épices. Pour Gifrer c’est de la poudre de bicarbonate que nous mettons en flacon. Sur le pharmaceutique, nous réalisons pour Biomerieux du conditionnement de tests HIV par exemple.
M.L : Nous réalisation le nettoyage et la sanitation de kits de Fontaine à eau.
Pour le secteur de la cosmétique, nous travaillons principalement avec Mulato Cosmetics qui commercialise des produits repigmentants pour les cheveux à base de pigments naturels. Nous collaborons également avec Skinjay, une start-up innovante, inventeur des capsules parfumées de douche. Au remplissage primaire de capsules s’ajoute la réalisation de coffrets assortis. En atelier alimentaire nous sommes amenés par exemple, à remplir des barquettes de produits secs, salés ou sucrés toute l’année ou à confectionner des paniers de fin d’année pour notre client AGIDRA.
Quels écueils les établissements intéressés doivent-ils anticiper ?
F.L : Il est bien évidemment nécessaire de bien mesurer les enjeux et les investissements obligatoires. Il faut également souligner que la mise en œuvre n’est pas facile, que le besoin en formation du personnel est important car il doit être à l’aise avec tous les suivis et procédures à respecter et respecter la notion primordiale qu’est la rigueur. Nous devons indiquer aussi que le temps consacré aux suivis administratifs liés aux contraintes qualité, à la traçabilité et éventuellement à la mise en place de la certification ISO pour ceux qui ne la possède pas, est loin d’être négligeable !
M.L : La règlementation sur les différents secteurs doit être maîtrisée et les besoins clairement identifiés avant d’investir dans les salles propres. La formation des moniteurs aux diverses procédures est un point de réussite important, la documentation étant une partie cruciale des suivis de production. Cela implique une veille réglementaire périodique afin d’anticiper les éventuelles obligations de changement.
Cette activité est-elle rentable ?
M.L : Outre une rentabilité intéressante pour chacune de ces activités, notamment pour la cosmétique et la parapharmacie, nous observons une activité annuelle pérenne avec un taux de charge maximal ne permettant pas toujours de satisfaire les demandes de nouveaux clients !